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Constitution de partie civile

Harcèlement : pour obtenir réparation au pénal, l’employeur doit justifier d’un préjudice personnel et direct

La chambre criminelle de la Cour de cassation dénie à une commune le droit de se constituer partie civile dans le cadre d’une affaire de harcèlement sexuel ayant mis en lumière les agissements d’un employé de mairie. En effet, l'employeur ne justifiait pas d'un préjudice personnel et direct.

La constitution de partie civile, un moyen d’obtenir réparation sans passer par la faute lourde

En matière pénale, la constitution de partie civile permet à la victime d’obtenir réparation du dommage cause par le crime, le délit ou la contravention. Dans le domaine des relations de travail, cela signifie par exemple que l’employeur victime d’une infraction commise par un salarié peut réclamer à l’intéressé des dommages et intérêts s’il a « personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction » (c. proc. pén. art. 2).

Par ailleurs, et contrairement au juge judiciaire (en l’occurrence le conseil de prud’hommes), le juge pénal n’exige pas que le salarié ait commis une faute lourde, c’est-à-dire qu’il ait agi avec l’intention de nuire, pour le condamner au versement de dommages et intérêts.

C’est ainsi qu’un salarié d’une compagnie aérienne condamné à 4 mois d’emprisonnement avec sursis pour harcèlement moral à l’encontre de plusieurs collègues a par ailleurs dû verser des dommages et intérêts aux collègues en question, mais également à l’employeur, dont il avait terni l’image après de ses autres salariés (cass. crim. 14 novembre 2017, n° 16-85161, B. crim. n° 252).

Un arrêt du 4 septembre 2019 rendu par la même chambre semble cependant délimiter plus strictement les contours de l’action civile exercée par l’employeur à l’encontre d’un salarié.

Une commune n’est pas une personne physique et ne peut donc pas invoquer un préjudice personnel et direct

Un chef de service d’une mairie avait été condamné à un an d’emprisonnement pour avoir harcelé sexuellement deux subordonnées. La commune s’était constituée partie civile et avait obtenu, devant la cour d’appel, le versement de dommages et intérêts, au motif que les faits de harcèlement, commis par le salarié dans l’exercice de ses fonctions, avaient jeté un discrédit sur les services de la mairie.

La chambre criminelle de la Cour de cassation a cependant censuré l’arrêt de la cour d’appel.

En effet, selon le code de procédure pénale, « l’action civile en réparation du dommage causé par un crime ou un délit appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction ».

Or, le délit de harcèlement sexuel relève de la catégorie des atteintes à la personne humaine (titre II du livre II du code pénal), dont la sanction est exclusivement destinée à protéger la personne physique. Les actes de harcèlement sexuel commis par l’employé de mairie ne pouvaient donc occasionner pour la commune un préjudice personnel et direct.

Un infléchissement de la jurisprudence ?

On peut se demander si cette décision du 4 septembre 2019 ne marque par une inflexion par rapport à l’arrêt du 14 novembre 2017, qui, dans des circonstances comparables, avait condamné le salarié à indemniser l’employeur sans s’interroger sur l’existence d’un « préjudice personnel et direct ».

Certes, dans l’affaire de 2017, il s’agissait de harcèlement moral, mais, à notre sens, ce délit relève également des atteintes à la personne humaine, au même titre que le harcèlement sexuel.

On pourrait aussi noter que l’arrêt de 2017 concernait une compagnie aérienne, tandis que celui de 2019 vise une commune. Mais on ne voit pas dans quelle mesure une entreprise pourrait davantage prétendre à la qualité de personne physique qu’une administration locale.

En définitive, si la prudence reste de mise, c’est parce que l’arrêt du 4 septembre 2019 est estampillé « D », donc non publié au bulletin de la Cour de cassation, ce qui signifie que les juges n'ont pas entendu lui donner un retentissement particulier. Il faut donc attendre de nouvelles décisions pour savoir si la Cour de cassation a réellement durci sa jurisprudence sur la constitution de partie civile par l’employeur.

Cass. crim. 4 septembre 2019, n° 18-83480 D

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